vendredi 4 octobre 2013

Ludo, Karim, Anne-Cé et tant d'autres aux 100kms de Millau

Quand on a couru un 100km, on devient cent-bornard. Commencer par le 100km de Millau, c’est s’assurer qu’on sera acclamé dans le parc de la victoire deux fois. Ca donne envie de recommencer. C’est dans le marathon que se perd la course et c’est peut-être dans la montée de Tiergues que Millau se gagne

Massy, dimanche 29 septembre 2013,

Depuis ce matin, nous avons quitté notre chalet sur la colline bordant les rives du Tarn et nous avons roulé vers le nord. Mon compagnon de route m’a laissé en fin d'après-midi à la gare de Massy.  Cela beau être un dimanche, le hall est bondé, je me vois arriver et me comparer à ces autres voyageurs, certains en kaki, d’autres en jeans et vêtements passe-partout ont quand même un ou deux sacs aux couleurs militaires alors que moi je suis avec un gros sac que je porte dans le dos alors que mon sac à dos qui contient mon ordinateur est porté sur le ventre. A comparer nos postures, il n’y a guère de différence, à regarder nos chevelures, ils ont la coupe avec des cheveux très courts, les miens diffèrent par leur longueur et surtout par cette expression qui évite de me classifier chez les vieux, cheveux poivre et sel. Qu’importe, ils sont jeunes, ils sont dans la force de l’age et moi j’aime me considérer comme sage et heureux. Quel magnifique week-end  ! Le hall est bien trop bruyant pour que je m’installe mentalement confortablement et me délecte de quelques chapitres d’un livre que je viens d’entamer. En fait, il y a très longtemps j’avais arrêté la lecture en plein milieu de l’œuvre la plus connue de Gabriel Garcia Marquez, il s’est passé trop de décennies pour que je reprenne où j’en étais et j’ai décidé, la patience plus grande m’ayant été accordée de recommencer et de me délecter à l’avance de retrouver ce village où des générations se succèdent et écrivent leur histoire avec ou sans un grand H. Mon train est annoncé avec quinze minutes de retard, le temps, la référence au passé et au futur m’appellent sans cesse à considérer l’instant présent et le savourer au lieu de faire des plans et d’espérer ou de me lamenter en me disant qu’il y a eu dans le passé de bons moments, cela ne m’empêche jamais de penser à celle que j’aime. En tous cas, la rêverie dans cet endroit qui n’a rien de chaleureux, me fait presque oublier qu’il me faut atteindre le bon quai car si je ratais ce TGV ce ne serait plus quinze minutes de retard que j’aurais mais sans doute la certitude d’une soirée, voire d’une nuit de galère pour remonter à Paris, trouver une place dans le dernier train ou pire attendre le premier du matin entre Montparnasse et Rennes. Une petite fille regarde vers moi, j’en suis étonné, elle parle à peine et se déplace comme un château branlant, elle est adorable, une femme qui doit être sa tante s’adresse à celle qui doit être la mère en lui disant que la petite est en train de partir se promener. Le regard de la petite est en fait dirigé derrière moi et elle se met à accélérer dans ma direction, me contourne, elle essaie d’attraper un pigeon entré dans le hall pour s’abriter d’une pluie torrentielle. La pluie et l’orage nous ont réveillés dans la nuit de samedi à dimanche et heureusement nous étions rentrés. Nous, c’est Karim, sa femme Céline, Antoine un ami du couple et moi. Karim, mon coureur, celui que je pourrais appeler mon poulain nous a gratifiés d’une course magnifique, je ne retiendrais que celle-ci avec le cortège de plaisirs, de bonheur, de manifestation d’admiration du public, des autres coureurs et de leurs supporters.

Oups, alors que j’avais plus d’une heure à tuer, je vais finir par être obligé de courir pour trouver le bon quai. Bon ok, un dernier coup d’œil aux divers réseaux sociaux. Que vois-je  ? ce dimanche à Berlin, un marathonien kényan, Wilson Kipsang, a établi un nouveau record du monde. Bien, me dis-je, après Hailé en 2007, puis Hailé en 2008, il y a eu Pascal Makau en 2011, donc quatre fois à Berlin en six ans, ça devient presque banal et de la non information. Ce n’est pas sympathique pour ce coureur  ; à une autre époque Wilson aurait suscité l’admiration de beaucoup de passionnés de course à pied, moi-même j’ai été un grand fan de Haïlé pour tous ses titres olympiques et mondiaux pour tous ses records sur piste puis sur marathon.

Le marathon de Berlin sort de ma tête, je retourne à la réalité, je suis dans une gare et je vais prendre mon TGV pour rentrer à la maison. De toutes façons, je me déplace doucement parce que je n’ai pas les moyens ni l’envie d’aller plus vite, j’ai mes deux sacs, le dorsal et le ventral et encore une fois, je me remets à me dissocier de l’environnement. Mon pied droit ne me fait pas mal, je rêve que bientôt je pourrais recourir un simple footing et de temps en temps je pourrais aussi courir avec mes athlètes pendant leur échauffement, eux seront au ralenti, moi, je serai à fond mais heureux de tout simplement partager la dernière discussion, les dernières nouvelles qui nous passent par la tête. Pour le moment, je suis lent, l’annonce de mon TGV est réitérée, il partira du quai numéro trois avec quinze minutes de retard. Ce n’est rien. Hier le retard de mon poulain par rapport à celui devant lui n’était que de dix minutes, par contre s’il voulait monter sur le podium, il était à vingt trois minutes. C’est beaucoup et c’est peu. Quand on rate un train la moindre minute c’est gênant, certains prennent cela comme une catastrophe, là sur les 100kms de Millau, vingt trois minutes c’est beaucoup et c’est peu quand on sait que le dernier qui aura pris la pluie d’orage aura bouclé le parcours en à peu près 24 heures soit 16 heures de plus que mon poulain. La différence énorme tient en ce que moi qui ait accompagné à vélo, j’ai passé une belle journée de course et nous avons fêté cela dans la soirée et nous avons dormi comme des bienheureux dans un bon lit. Les coureurs noctambules n’ont même pas vu les étoiles , le ciel était couvert toute la journée et la nuit les nuages ont déchargé tout ce qu’ils avaient en eau. A mes athlètes qui viennent de réaliser une belle performance, je dis toujours de savourer de ne pas passer à autre chose précipitamment; toute la préparation et sa concrétisation dans une belle course méritent qu’on s’attarde, qu’on se repose, qu’on se bichonne, qu’on prenne plaisir et le futur avec des nouveaux projets ou objectifs attendront.

Le train arrive, stoppe, je dois me bouger et m’approcher de la porte de ma voiture et grimper, ensuite poser mon gros sac et garder avec moi celui de l’ordinateur. Quel bonheur que de s’asseoir, se placer confortablement et déconnecter les appareils portables, il y a des voyages lointains en avion avec des heures sans le réseau et il y a ces multiples déplacements entre Paris et Rennes qui donnent cette merveilleuse occasion de voyager plusieurs fois, une fois sur les rails, c’est la rame qui bouge et une fois dans sa tête, c’est l’esprit qui parcourt des lignes droites, prend des virages et fait des boucles qui paraissent impossible.

Ferme tes yeux, savoure  !

Qu’est-ce que j’aime ces 100kms de Millau, qu’est-ce que j’ai aimé ce week-end, j’y ai vécu des successions de petits plaisirs, j’ai rencontré des connaissances dans le monde de l’ultra. Un club virtuel s’est monté il y a plusieurs années, il s’est concrétisé sous la forme d’un forum sur Internet et nous échangeons chacun à son rythme, nous nous voyons sur les courses d’ultra. La dénomination est “  Au Delà Du Marathon  ” ce qui donne l’acronyme ADDM. Comme dans la vie de tous les jours, il y a toutes sortes de tempéraments et toutes sortes de caractères, des coureurs adorables et des provocateurs juste irritants ou bien affreusement détestables. Il y a des coureurs et des entraîneurs d’excellent niveau, ce ne sont pas ceux-là qui contribuent le plus à la cacophonie, au règne du “  n’importe peut prétendre détenir la vérité vraie  ”. Certains n’écrivent pratiquement jamais, d’autres passent leur temps à faire la liste exhaustive de tout ce qu’ils ont ingéré et pas toujours digérés, ce sont aussi bien des kilomètres, des dénivelées ou bien des nutriments solides ou liquides divers et variés. Ce sont un peu mes amis, enfin plus que les amis des réseaux sociaux, j’ai du plaisir à les rencontrer et boire un coup en vrai, pas de façon virtuelle à travers un clavier ou via des émoticônes.

Ce dimanche 29 septembre, c’était le record du monde du marathon mais pour nous le 28 et le 29 c’était la fête. Il y avait le jeune cent-bornard qui n’a eu comme cadeau pour sa cinquième place qu’une simple serviette éponge et tous, du premier au dernier auront cette seule récompense matérielle, sur les marathons internationaux, il y a une grille de prix qui peut apporter à un champion plusieurs centaines de milliers d’euros et même un ou deux millions de dollars; sur la belle classique Millavoise qui nécessite des mois d’entraînements, le premier ne gagne rien et la première la même chose agrémenté d’un bouquet de fleurs. Tous ont gagné le plaisir de l’avoir courue une fois ou plusieurs fois, souvent ils décident de revenir.
Quand Karim que depuis son enfance, certains appellent Hakim, m’avait demandé de l’amener sur cent-bornes, je lui avais conseillé de choisir Millau car si jamais il n’en ferait qu’un ce serait celui que beaucoup trouvent magique.

Hakim est un coureur de caractère, il sait ce qu’il veut, il se fixe des objectifs, il ne veut avoir aucun regret, il fait ce qu’il croit être le mieux pour réussir. Depuis sept années, Il m’a choisi comme coach et entraîneur, il me questionne et il donne son avis  ; quand après argumentation, il comprend ce que veut son entraîneur, il est content quand est intègrée sa façon de voir telle ou telle séance. Ensuite Karim est intégralement concentré sur la réalisation de chacune des séances de qualité qui sont planifiées. Il fait ce qui a été décidé par le coach.

Hakim était concentré les jours avant la course et il en était malade, la veille après le retrait de son dossard après avoir mangé toujours le même repas fait de pâtes qu’il a cuites lui-même pour être sûr qu’elles sont Al Dente mais Al Dente de chez Hakim, après avoir bu de l’eau plate et de l’eau gazeuse, pas n’importe laquelle, celle qui est la plus chargée en minéraux, Hakim avait été dérangé et s’était réveillé dans la nuit et avait même réussi, après un de ses nombreux passages aux toilettes à se tromper de chambre, il s’en est fallu de peu qu’il se couche dans mon lit où celui d’Antoine. Antoine et moi sommes ses accompagnateurs vélo et Karim prend sur lui pour ne pas être désagréable avec nous, comme nous sommes en quelque sorte ses modérateurs, Céline la femme de Karim, elle, bien entendue est la première des supportrices et c’est donc un pléonasme, Céline supporte Hakim et ce, depuis de nombreuses années.


Le départ des 100kms de Millau est donné au parc de la victoire. Ce samedi matin, avec Antoine, nous y sommes allés tranquillement sur nos VTT, Céline et Hakim y sont allés en voiture, bien longtemps avant l’heure de départ pour ne pas stresser. Raté, Hakim est plus stressé que jamais. Pendant que je serre des mains, que je fais la bise à de nombreuses personnes bien souriantes et décontractées venues de partout et beaucoup de Bretagne, Hakim se met en quête de toilettes.

Pour ne pas lui ajouter de la pression, je ne lui dis rien, je ne sais s’il faut dire n’importe quoi, lui raconter une blague pour le décontracter ou bien se taire. Après le coup de pistolet, plus rien n’aura d’importance à part ses sensations, et la sérénité s’installera ou bien je lui vrillerais la tête et pendant qu’il fera sa plus belle foulée déroulante et économique, je le saoulerai et il ne pourra même plus réfléchir.

Je signale à Hakim que nous partons avec les autres accompagnateurs bretons que j’ai rencontrés pour le point de ralliement vélos-coureurs à Aguessac à 6km au nord sur la rive droite du Tarn.

L’année dernière, sur place, j’étais resté très longtemps et cette année j’ai décidé d’y aller tout doucement. C’est tellement lent que je ne fais même pas d’effort alors je m’arrête pour mettre un coupe-vent, il fait un peu frisquet et il y a un petit vent. La météo a annoncé des grosses rafales pour l’après midi, sans doute que les chronos ne seront pas bons.
L’attente, cette année, s’est transformée en discussion entre coaches. Au début, je discutais avec Manu Fontaine qui attendait sa femme Anne-Cécile, Bruno Heubi nous a rejoints. Cette rencontre nous rappelait que nous étions à Millau sept ans auparavant. Bruno avait gagné l’édition de 2005 et il avait organisé et recruté une équipe de meneurs d’allure, c’était une première sur 100km. Nous nous rappelions cette édition très pluvieuse, Manu a dit  : “  15kms secs et 85 kms sous l’eau  ”. Sur cette édition, j’avais changé mes vêtements, mes chaussettes et mes chaussures qui faisaient sploc ploche au marathon à Millau, j’étais ressorti sec et ne l’étais resté que quelques secondes. Même scénario au soixante et onzième kilomètre et même punition, sploc ploche avant Saint Affrique, puis épongeage dans la salle, changement intégral pour le plaisir d’être sec, quelques minutes sans sploc et puis avant même la sortie de la ville, avant la montée vers Tiergues à nouveau complètement trempé.

Ce samedi, le ciel est gris, la température clémente, nous ne savons pas si Anne-Cécile en a fait trop ou non, on se dit que Ludo Dilmi est favori mais Hervé Seitz qui a fait troisième l’année dernière est aussi un prétendant à la victoire.

Le marathon et le 100kms démarrent en même temps, les premiers coureurs qui se pointent au bout de la ligne droite sont les marathoniens, très peu de temps après, nous distinguons les premiers cent-bornards avec leurs dossards qui ont une bande réfléchissante parce que beaucoup arriveront dans la nuit. Normalement dans ce groupe de tête, il y a peu de chance qu’il y en ait qui arrivent la nuit, je reconnais Ludo, je lui fais un signe et tout en courant tranquillement, il est dans le deuxième groupe, il me fait la remarque qu’il pensait me voir comme coureur, je lui explique que cela fait des mois que je suis blessé et que j’aurais adoré recourir ce 100kms.

Passent devant mes amis entraîneurs et moi, des marathoniens et des cent-bornards, pas plus de deux poignées et enfin mon athlète. A voir sa tête, il est clair qu’il n’est plus stressé, il est dans sa course, il me dit “  ça va  ”.
C’est le Karim rasséréné que je retrouve, celui avec lequel nous discutons de temps en temps de musique, des chanteurs et chanteuses qui lui font du bien. Sur mon vélo, je dois bien entendu me freiner pour rester dans l’allure du groupe de Karim. Par habitude, je demande sa fréquence cardiaque et j’ai l’assurance que c’est bien. Cela correspond à ce que nous connaissons de ces débuts de séance spécifique, je vais me positionner à la borne des 10kms pour toper sur ma montre au passage du groupe. Il y a une borne tous les 5 kms. Cela avance régulièrement, sans à-coup. Rapide calcul, le temps de ré-enfourcher mon vélo et de rejoindre les coureurs et j’annonce l’allure, le calcul était vite fait parce que le temps de passage correspondait aussi à une valeur constatée à l’entraînement. Toutes les valeurs moyennes d’allure et les fourchettes de fréquence cardiaque sont connues par cœur. Comme dans la musique, un bon 100km est couru au bon tempo. Dans le cadre d’un parcours complètement plat, il n’y a pratiquement qu’une seule allure du début jusqu’à la fin qui tient compte quand même de la fatigue avec pour objectif pour un champion d’être le plus stable possible, le plus longtemps possible. Dans le cas de Millau, Hakim aurait eu des doutes, c’était par exemple la première fois, il y a un an. Cette fois-ci, la partition, il la connaît bien, on ne peut jamais dire parfaitement, il va l’interpréter du mieux possible. Le travail quotidien du cent-bornard, c’est comme les gammes du musicien, Hakim a répété pendant des mois. La grande course qui lui a servi de répétition générale, il l’a consciencieusement réalisée, un départ dans le rythme puis la liberté d’aller à l’allure qu’il sentait. Millau peut être couru par des maniaques de l’arithmétique, Millau ne peut-être magique que si l’on est un artiste. Karim, parce qu’il a parcouru des centaines de kilomètres a fini par adopter la foulée qui sied à la musique de la première boucle. Millau doit être une oeuvre symphonique, cette symphonie aveyronnaise sera en trois mouvements.

En dehors de la course, nous avons en commun, Karim et moi, actuellement des soucis professionnels, avec des journées de travail sans passion et nous les subissons. Nous apprécions tous les deux Joan Baez, sa guitare et sa voix nous sortent momentanément de ce quotidien maussade. Pendant la préparation, j’ai souvent pris ma guitare le soir et je chantais la chanson Well Met, Well Met que Karim m’avait suggérée. La guitare est restée à Rennes, une autre fois je lui chanterai des chansons apaisantes ou bien du blues. Dans mes souvenirs de mon plus beau 100km, j’étais serein et c’était Mozart qui m’accompagnait. C’était un 100k plat et un concerto pour piano et orchestre se jouait dans ma tête.

Nous ne sommes qu’au début de Millau, Karim a l’air bien, autour de lui, il y a presque foule, avec des coureurs et des accompagnateurs. Voilà que je me dis que si j’étais à sa place, je m’énerverais. De fait, d’autres coureurs ont des postures qui ne me plaisent pas en tant qu’entraîneur, qu’elles ne soient pas belles, pas équilibrées, le buste et les épaules trop en avant, qu’ils soient bas, que les bras semblent raides, ce n’est gênant que pour l’esthète qui aime voir les foulées des plus grands demi-fondeurs mais que la respiration soit forte ou la pose de talon suggérant des coups de pilonneuse, cela nuit au premier mouvement de notre symphonie. Au milieu du groupe, Karim déroule sa foulée, la pose est légère, il est bien droit, c’est bien le tempo Adagio, ou bien Ruhig que Karim germaniste comprend mieux. La maman de Karim est professeur d’allemand. “  Ruhig  ” cela m’évoque paisible. Cela me plait. Le long du Tarn, ce ne sont que successions de faux plats, nous allons changer de rive, nous allions vers les gorges sur la rive droite et nous empruntons le pont pour attendre Le Rozier. C’est un bel endroit, Karim est dans sa bulle, il ne regarde pas. Connaissant bien ce passage, je préfère donner une consigne sachant que de toutes façons, Karim écoutera ses sensations et ne sortira pas du plan de course ou plus poétiquement il continuera la partition en Adagio ou bien Lento, soit Langsam en allemand, que je traduis en tranquille. Le Rozier était une incursion dans la Lozère, nous abordons Peyrelau en repassant dans l’Aveyron, mais le plus important, je vais descendre tous les rapports du vélo parce que la pente est la plus forte de toutes les pentes de la première boucle. “  Karim, tu sais que sur la patate qui est la première vraie patate de Millau, et qui est ici, tu as le droit de prendre quelques pulses mais ne vas pas trop haut car ça ne sert à rien, on va garder du jus pour la deuxième boucle  ” Comme prévu, Karim monte plus vite à pied que moi alors que je pédale du mieux que je peux. Encore une fois, je constate quand les coureurs me doublent que certains manquent de retenue, leur souffle haché reflète l’intensité de leur effort, c’est trop, trop tôt. Dans le Village, je rattrape le groupe de mon athlète et écoute les différents commentaires. A chaque fois c’est du même acabit. “  Sur le profil de la course ils n’avaient pas mis cette côte, elle est dure et pourtant …  Si mais c’était tout petit ” Parce que je connais la suite, je rigole sous cape, Karim se permet  : “  c’est rien par rapport à Creissels”. Quand Karim dit Creissels il pense à la montée au viaduc qui démarre à Raujolle. En effet, à Peyrelau, la pente est forte mais ce n’est que le temps d’un lacet de quelques centaines de mètres. Plus tard … dans à peu près deux heures, cela va durer plus longtemps et cela va faire mal au moral. Jusqu' à Millau, j'ai décidé de regarder l'allure et je recommence tous les cinq kilomètres le pointage. Malgré les bosses, l'allure générale est stable, un rapide calcul me donne un temps de passage au marathon en un peu plus de trois heures, cela confirme que nous ne sommes pas loin de le tête du 100km et aussi dans le même tempo que les bons marathoniens. Les postes de ravitaillement sont passés sans aucune pause, Antoine se charge de passer les bidons d’eaux pétillantes ou non, salées ou sucrées ou neutre et Karim est toujours dans le tempo. D'autres coureurs procèdent par à coups et je ne me permet pas de leur faire des commentaires, je glisse quand même quelques mots à Antoine pour qu'il saisisse, si ce n'est déjà fait, l'importance de l'accompagnateur, modérateur au début de la course. Pour avoir des nouvelles de la tête de course, j'accélère et profite de la descente qui se situe au trentième kilomètre et qui ira jusqu'à Millau-Plage en dessous de notre chalet. Alors que je rejoins Ludo qui est seul à l'entrée du village de Paulhe, je lui demande s'il a un suiveur. Ludo me dit qu'il en a et il me remercie. Sur le coup je ne comprends pas pourquoi il me remercie, après quand je continue ma descente à fond, je me poste à la prochaine borne, pose mon vélo et prends les temps de passage. En étant à l'arrêt, je constate qu'il y a du vent contre. Il n'est pas encore très fort mais il n'est pas l'ami du chronomètre. Comme j'ai vu passer la tête de course, je connais maintenant la position de Karim. Pour ne pas l'influencer je ne donne pas son classement provisoire et le rassure toujours lui annonçant que son allure est stable. Antoine qui connaît mon pronostic sur le passage au marathon s'inquiète un peu car il compare à ce qui s'est passé au précédent 100km où il était le seul accompagnateur à vélo. Il est rassuré quand je lui confie que ce qui compte c'est que du point de vue cardiaque tout est impeccable, après les montées, le cœur redescend rapidement dans les descentes ce qui montre qu'il n'y a pas eu dépassement de seuil, pas de passage dans la zone rouge. Karim discute avec un coureur qui l'accompagne depuis pratiquement le début et tous deux parle du vent qui est contre. Nous faisons tous la réflexion, qu'il sera dans le dos sur la fin du 100km même si nous savons que l'addition est plus grande que la soustraction. La performance chronométrique ne sera pas au rendez vous, il faut aussi se faire plaisir en se battant contre soi-même, la place devient plus importante pour la compétition en elle-même. Le retour sur Millau est tranquille, seul le passage à côté du chenil de la SPA met nos oreilles à contribution. Les coureurs se sont tus depuis un moment, les suiveurs étaient du coup respectueux du silence, les aboiements des chiens semblent avoir réveillé les langues de chacun. Nous croisons des joggeuses et c'est la blague éculée “  hé les filles, la course c'est dans l'autre sens, vous vous trompez  ”. Entre les ravitaillements et entre les villages il n'y a pratiquement personne, on ne voit que les compétiteurs et leurs accompagnateurs. De temps à autres, des motos nous dépassent, derrière le pilote on devine un officiel. Il y en a un que je verrai sans doute toute la journée, il fait aussi le pointage des premiers de la course à plusieurs endroits. Dans la tête de Karim, j'imagine “  céline, j'arrive  ”. Nous approchons de Millau-Plage, c'est plat, c'est dégagé et je devine que la femme de mon athlète s'est postée là pour l'encourager. C'est toujours sympathique de voir les visages radieux de ceux que nous connaissons. Cela fait trois heures que la course est partie et il reste soixante kilomètres à parcourir. Karim est costaud dans sa tête, souvent quand on passe à côté de son logement, on a envie de s'arrêter et d'aller se coucher. Pas mal d'histoires d'abandons sur marathon se passent quand le dernier tiers du parcours est proche de l'hôtel ou du camping de l'athlète.

Le parcours est plat, il emprunte la piste cyclable le long des nombreux campings de Millau-Plage. Aurélien est le coureur à côté de Karim que j'ai fini par découvrir en parlant non seulement course, cross et trail mais aussi judo, son accompagnateur est professeur de judo. C'est amusant car en me comptant cela donne quatre judokas et aussi quatre Berrichons. Aurélien est dans un club de course de Déols qui jouxte Châteauroux, et bien moi, je suis Castelroussin de naissance et c'est enfant que je me suis retrouvé en région parisienne et breton seulement depuis presque trente ans. Karim et Aurélien aborde le pont au dessus du Tarn pour rejoindre le centre de Millau. Encore une consigne annoncée bien fort “  Karim, ne change rien , ne fais pas monter les pulses, il y a un faux plat qui dure jusqu'au parc de la victoire et jusqu'au marathon, tu ne prends aucune pulse, c'est après, tu le sais, dans la montée de Creissels que là ton cœur va grimper.  ” A ce moment Karim et Aurélien sont sixième au classement. Karim baisse la tête, je ne vois que le dessus de sa casquette fétiche, lui seul a le droit de dire pourquoi et pour qui, il la porte. Karim reste concentré et ne réagit pas quand de nombreux coureurs se mettent à accélérer et le doublent. Il est normal que les marathoniens qui sont à un kilomètre et demi de leur fin de course jettent tout ce qui leur reste d'énergie. Par contre, je ne comprendrais jamais, et je l'ai vu tant de fois, quand le marathon approche, des cent-bornards accélèrent et sur la ligne topent leurs chronomètres. C'est ainsi, il se passe des choses “  stupides  ” mais certains n’y changeront rien.
Karim et Aurélien passent pratiquement ensemble au marathon, ils sont douze et treizième. Sur la première boucle j'avais prédit que beaucoup de ceux qui étaient devant Karim allaient chuter au classement général, c'était facile parce que déjà l'année dernière j'en avais vu qui avaient craqué dans la deuxième boucle et pris plus d’une heure. Si on ne considère que la vitesse, on peut constater des moyennes qui chutent, si l'on se place au niveau des battements du cœur, c'est une autre histoire.

Quand on travaille sur une œuvre musicale, le tempo est indiqué et pour avoir une référence, on prend un métronome et il nous donne les battements par minute, c'est de façon mathématique le moyen de placer correctement les tempos adagio, lento et autres presto ou prestissimo (Sehr Schnell), cela peut dépasser les 180 pulsations par minute. La symphonie de Karim va passer au deuxième mouvement. La fréquence de la foulée va osciller, le rythme cardiaque aussi. Le prochain pointage se fera à St Affrique, ce tronçon nous promet toutes sortes de tempo et nous croyons que la course va commencer réellement sur les deux grosses bosses. Il y a Creissels, une descente vers Raujolle, la montée vers le viaduc, plus tard, la montée vers Tiergues. Raujolle puis la terrible montée, mes cuisses s'en souviennent c'est là que coureur ou cycliste j'ai connu le plus grand découragement. Pourtant il y a le viaduc au dessus, on lève la tête, il est beau, il paraît inaccessible, on a mal, on s'arrête, on reprend son souffle et on repart parce qu'on n'a pas le choix. J'avais pris de l'avance car je savais que mon ascension serait bien plus lente que celle de Karim. Avant même la moitié de la montée, je crois que ce n'est plus Karim qui me rejoint, c'est Hakim. Il est dans le doute, il me double en trottinant et un peu plus haut il s'arrête et marche. Il doit se maudire. La pente est réellement forte, je n'arrive pas à pédaler longtemps, je fractionne. Quand je marche, je regarde plus haut et je vois Hakim qui alterne trot et marche. C'est bien, car malgré sa relative lenteur, personne ne l'a doublé. Dans la deuxième boucle, je ne prendrais plus les temps sur les bornes, parce que cela ne veut plus rien dire à cause des dénivelées positives et négatives et aussi tout simplement parce que je ne serai que rarement avec Karim sur les bornes. Il me faudra prendre de l'avance dans les descentes pour arriver en bas des montées plus tôt et ne me faire doubler qu'au milieu. C'est la théorie, en fait ce sera, à fond, à fond toujours à fond et avec Antoine qui est plus fort que moi malgré son vélo chargé, nous ne serons synchro qu'à Tiergues. Nous avons pris trois gouttes et c'est tout. Le vent est monté en intensité. Nous avons eu des nuages toute la matinée. Après avoir passé sous le viaduc, j'ai mis longtemps avant de rattraper mon cent-bornard. Ce sera sans doute la dernière fois que je lui demanderais  :  “  quelle est ta FC  ?  ” Ce qui me rassure c'est qu'elle est retombée à la valeur du début de la première boucle, je sais que je le saoule à lui demander sa Fréquence Cardiaque, l'année dernière il m'avait envoyer paître après St Georges de Lurançon. Comme il a beaucoup d'expérience maintenant il sait où se situe l'intensité d'effort supportable longtemps. Peut-être qu'une prochaine fois, il pourra mettre la montre en fonction enregistrement et coller un sparadrap pour ne pas pouvoir lire les valeurs de Fréquence Cardiaque. Ca ne lui sert plus à rien, ça ne servira qu'au coach qui analysera après coup les points forts et les points faibles et déterminera une nouvelle stratégie d'entraînement et de course. Après réflexion, c'est le coach qui a besoin d'être rassuré, bon, c'est fait. Le coach se dit qu’il est temps de penser à lui, il n'a rien mangé depuis la veille puisqu'au réveil, il n'a ingéré qu'un café noir. Tout le contraire de ce qu'on préconise en diététique.

Le deuxième mouvement de la symphonie qui pourrait être la septième de Beethoven en terme d'émotion va se jouer souvent avec Karim se retrouvant avec Hakim.

Pour ma part, je fonce au ravitaillement à St Georges. Entrant dans la salle, je m'aperçois que les tables sont bien installées avec les petits toasts, les fruits secs, les petits sandwiches au pâté, jambon, crême de Roquefort. Personne avant moi n'a l'air de s'être servi. Une charmante bénévole me demande si je connais ce ravitaillement en me désignant à sa gauche les rangées de verres emplies des différentes boissons, il y a de l'eau plate, différentes eaux pétillantes plus ou moins salées , il y a même de la bière et le fameux soda de couleur noire. Un rapide calcul et je lui dit que c'est la quatrième fois que je passe dans cette salle puisque je suis à ma quatrième présence, puis après hésitation je lui dit qu'en comptant l'aller et le retour, cela fait huit fois que je suis entré dans cette salle. Je me suis trompé car en fait je ne suis qu'à l'aller alors j'ai trop vite multiplié par deux. Il y a des détails dont je me souviens et je ne les raconterai pas car ils sont liés à des problèmes connus de cent-bornards qui à force d'avoir peur de ne pas assez s'hydrater finissent par avoir le ventre en vrac. A la sortie de la salle, j'enfourche mon vélo et je dois m'activer pour rejoindre Antoine et Karim. Dans le faux plat montant avant d'attendre St Rome de Cernon, Karim est redevenu serein, sa foulée est fluide et il reprend des coureurs qui étaient devant à Millau. Il n'y a plus beaucoup de cent-bornards devant. Pendant longtemps le coureur est seul ou avec son accompagnateur, on n'entend la musique toute en finesse libérée par les poses de pieds légères. Tous les ans à peu près entre les deux villes, je retrouve le ravitaillement rock and roll. Même si Karim est beaucoup plus jeune que moi, il est plutôt fan de Rock Progressif de la fin des années soiaxante, une de ses références est Atom Heart Mother des Pink Floyd. C'est dingue, quand l'album est sorti il n'était pas né. Cette pensée est débile, puisque quand Mozart vivait moi non plus je n’étais pas né, en fait les artistes sont éternels, les entraîneurs sont éphémères, les athlètes en changent souvent.
Dans la montée vers Tiergues au coeur de la forêt, il y a de belles courbes et très vite Karim va être seul et il va sans doute doubler des moins bons grimpeurs que lui. Pour ma part, je m'accroche et me fait doubler par quelques cent-bornards qui ont des mines bien entamées.

Enfin, c'est la fin de mon deuxième calvaire, j'approche du ravitaillement de Tiergues, qu'est-ce que je me sentais seul dans la montée et là il va y avoir du monde, des bénévoles, des officiels, des journalistes. Nous définissons avec Antoine une tactique pour la suite. Il descendra, pas moi et je garderai les sacoches bien chargées avec les bidons de boisson et ça fait un poids conséquent. En restant sur place, je peux discuter avec un officiel qui a fait des pointages. Toujours à faire mes calculs, j'imagine le prochain passage du premier cent-bornard et j'espère que Karim ne sera pas trop loin derrière, je l'imagine en dixième position, je demande si ils ont son pointage en bas à St Affrique. C'est négatif. La voiture chrono est enfin visible après le rond point en dessous du ravitaillement, celui qui mène la course est derrière. Quand je vois que c'est le T-Shirt jaune de Ludo, je suis très content. Quand Ludo est à quelques mètres il me crie mon prénom et me dit avec enthousiasme  : “qu'est-ce que je suis content de te voir là  ”. Je lui réponds moi aussi je suis content, très content. Il doit être content car de voir ma bobine ça doit le sortir de la monotonie de la montée depuis St Affrique et il est content aussi parce qu'il a grimpé l'avant dernière grosse bosse, il ne lui restera qu'un peu moins de vingt cinq kilomètres et une seule énorme difficulté, la montée vers le Viaduc. C'est vrai ça me fait plaisir de voir Ludo pratiquement vainqueur, je l'avais déjà vu gagner le titre national à Theillay. A peine deux minutes après arrive Hervé mais il n'a pas la même tête radieuse, il a l’air très fatigué. Rien n'est joué. Le temps passe vite parce que déjà dans l'entame de la descente plus d'une quinzaine de coureurs sont passés dont Aurélien, l’autre berrichon qui était dans la première boucle, le compagnon de route de Karim. Aurélien est tellement fatigué qu'il dit que ça va être très dur de terminer et il plonge sa tête dans la bassine réservée à l'épongeage. Son accompagnateur me regarde avec l'air de dire qu'il est aussi mal qu'Aurélien mentalement. Je conseille à Aurélien de ménager sa foulée dans la descente, le piège est de s’emballer d’aller vite en descente et ainsi de beaucoup taper, on le paye ensuite dans la remontée très durement. Très peu de temps après arrive à vélo, Manu, il me dit que ça va bien pour Anne-Cécile, elle est largement en tête. Tiens la même année, sur la même course que Ludo, Anne-Cécile a aussi été championne de France de 100km, c’était à Theillay, le parcours était plus plat et elle y a établi son record personnel. Anne-Cécile arrive, je lui envoie un bisou quand elle est à quelques dizaines de mètres. Elle se détourne de la trajectoire optimale et droite et vient me taper dans la main, elle est égale à elle même toujours souriante. Les trois poursuivantes auront au moins une demi-heure de retard. Claude alias Rouffi, un entraîneur que j'ai rencontré sur des championnats et que je sais faire partie de l'encadrement des formateurs à la fédération vient discuter avec moi des athlètes en tête de course, il ne suit personne en particulier mais s'intéresse bien entendu à ceux qui sont ou qui pourraient intégrer l'équipe de France. Comme je vois passer le cinquième au classement, je lui dis que j'attends mon athlète qui est en quelque sorte un débutant, il ne s’est passé qu’une seule année depuis son premier cent-bornes. Il me suffit de me retourner pour voir arriver le sixième et pour m'apercevoir que c'est Hakim. Il ne s’est passé qu’une minute. Donc je me mets à courir à côté de lui pour atteindre mon vélo qui était cinquante mètre plus haut. Le vélo était chargé, il était plus judicieux de le laisser plus haut dans la montée. Il y a du monde, les bénévoles s'y mettent aussi pour applaudir et encourager, on entend  :  “  bravo champion  ”  et même “  vive le Berry ”. Hakim demande quand sera la descente, il en a marre et s’impatiente. De fait il y a une succession de faux-plats avant d'arriver dans la vraie descente, celle qui comporte deux virages en épingle. Karim sans accélérer a doublé le coureur qui était devant et moins rapide en montée. Karim est alors bien et conseille à ceux qui montent de prendre l'extérieur des virages. Les coureurs ne comprennent pas pourquoi il faut aller à l'extérieur car cela fait plus de distance, Karim leur explique que la pente est moins forte, lui-même dans la descente prend les extérieurs pour ménager ses cuisses. Rouffi nous rattrape à vélo et me signale qu'un autre coureur revient et il est à cent mètres. Poliment, je lui dis que Karim s'en fout, il va faire sa descente à son rythme et ne se préoccupe pas des autres. Tous deux sur nos vélos, nous freinons et examinons la foulée. Claude me dit  : “  ton gars descend bien  ”. A vrai dire, je n'y suis pour rien, je n'ai pas pu en plusieurs années encadrer Karim au stade que très rarement et il s'est débrouillé pour faire ses gammes et ses exercices de descente. Bon quand même, mon ego est flatté quand on dit du bien d'un de mes athlètes. Karim s'est construit par lui-même, il est très doué et il m'a rencontré sur un stade à Paris et nous avons progressé ensemble. Cela fait maintenant sept ans que nous nous connaissons. Il avait couru son premier marathon en se bricolant un plan tout seul, un an après avec mon aide, il avait explosé tous ses chronos sur toutes les distances. Résident à Paris, sur les cinq années qui ont suivi, il a battu son record personnel sur chaque marathon et il a fait une pause le temps de se réinstaller dans le Berry avant de reprendre l’entraînement pour opter pour le 100 kms.

Karim est bien, il dit à voix haute  : “  Céline, j'arrive  ”

C'est le troisième mouvement de notre symphonie. A la fin de la descente, effectivement Céline est là et prend des photos de son magnifique champion de mari. Tous ceux qu'on a croisé dans la descente avaient l'air admiratif, certains criaient le classique “  bravo champion  ” Karim avait arrêté de dire merci. Nous venions de passer la marque quatre-vingts, Karim était serein, pourtant des signes de crampes apparaissaient, les signaux pouvaient être qualifiés de faible. Sur le faux plat descendant nous avons pris le vent de face, Karim a dit  : “  c'est pas juste, à l'aller il était dans l'autre sens, il a tourné et il est toujours en face  ”. Ceux qui ne sont pas là pourront toujours dire que les chronos sont moyens, ils n'avaient qu'à être là et constater et lutter contre.

Ce qui est magique à Millau, c'est le retour, il y a en gros un bon millier de coureurs qui te croisent. Les encouragements sont mutuels, il nous reste bientôt un petit quinze kilomètres soit un bon footing pour Karim et pour eux, encore un très très gros marathon. Sur le retour, je ne m'arrêterai à aucun ravitaillement, je me posterai en avance sur Karim et lui donnerai les bidons. C'est dommage pour les bénévoles mais c'est ainsi qu'on évite de trop perdre du temps dans les salles à St Rome et St Georges. Dix kilomètres avant l'arrivée, Karim et moi savons qu'il y a la grosse difficulté, celle qui nous amène au viaduc. Même scénario consenti avec Antoine, je pars en avance, je pédale comme un fou, je constate que je ne verrai jamais les quatre premiers de la course, Karim ne pourra jamais les rattraper. Il n'y a que moi qu'il dépasse dans la montée, je suis de plus en plus à la peine, ce n'est plus le souffle qui me freine ce sont mes jambes qui sont bien fatiguées. Karim a trouvé une tactique efficace, il me dit assez tôt quel bidon il veut, eau plate, gazeuse ou soda noir, je vais lui tendre un peu plus loin, il prend son temps pour boire tout en trottinant et il dépose le bidon plus loin pour que je le récupère. Mes souvenirs sur la montée jusqu'au viaduc sont tellement négatifs que je préfère abréger et précipiter mon récit dans la descente vers Raujolle.
Quand je rejoins Karim, je lui dis qu'il ne reste qu'une demie heure, il a une crampe, il en aura plusieurs qui reviendront de plus en plus souvent. Antoine et moi lui disons qu'il ne faut pas s'arrêter, il faut marcher puis il faut trottiner puis quand ça va mieux il faut courir. “  aïe, je vous jure je ne le fais pas exprès.  ” On pourrait rire du fait qu'il s'excuse bêtement, on se retient, dans ma tête  : “  nom de Dieu il a déjà couru presque quatre vingt quinze kilomètres, ça vaut le respect  !  ”. Avant d'arriver au ravitaillement à Creissels nous convenons que cela ne sert à rien de faire un écart et de nous arrêter, le poste est un peu en retrait de la route. Quand nous passons à côté, les bénévoles applaudissent et nous disons “  merci les bénévoles et excusez nous de ne pas nous arrêter  ”. Quand Karim a de nouveau une méchante crampe il s'arrête, je n'aime pas dire des mots désagréables alors tout ce que je trouve à dire  : “  Karim, je n'ai rien bu depuis longtemps, c'est l'heure de l'apéro, j'en ai marre d'attendre plus en traînera plus ça va durer et je veux boire un coup donc on y va, on marche, on trotte, on court et dans moins d'un quart d'heure on y est, il y a le gars pas loin, le sixième qui va te passer  ”. Karim ne ressemble plus à Hakim, il déclare  : “  s'il me dépasse c'est qu'il l'a mérité sa place  !”. En fait, Hakim s'est réveillé et nous courons à une très belle allure. Nous tapons dans la main de Tonio, un copain du forum ADDM qui entame la deuxième boucle. Comme il m'a rendu service, je lui promet une bière. Nous approchons du pont et là avec Antoine nous assurons la sécurité de notre coureur, moi devant à faire des signes pour que les voitures arrivant en face ralentissent et nous laissent un couloir d'au moins un mètre et Antoine se met sur le côté comme protection. Nous anticipons les ronds-points et les carrefours en demandant de loin aux commissaires de course quelle est la bonne trajectoire, s'il faut passer devant, à droite ou à gauche des voitures neutralisées. Place du Mandarous, le public est debout ou bien assis aux terrasses des brasseries, les applaudissements sont des cadeaux que personne ne peut refuser. Nous vivons un moment grandiose, la marque 99 est bien apparente, elle est en blanc, je la connais par coeur et c'est l'euphorie. Pas besoin de chronomètre pour voir que Karim va très vite, il n'avait jamais eu l'intention de se faire doubler. Encore un rond point, le passage à niveau, le dernier rond-point, le portail du parc de la victoire est grand ouvert. Les vélos s'effacent et passent sur le côté gauche, Hakim sprinte, Céline est là en haut de l'allée des platanes, Karim stoppe, il a encore une méchante crampe, tous ceux qui sont là crient avec Antoine et moi  : “  encore quelques mètres, allez  , allez”

Bon, c'est fini, je suis heureux, c'est tout.

Non ce n’est pas tout, c’était le dernier mouvement d’une symphonie que ne me laisse pas indemne, je ne dirai pas que quelque chose est mort (moi en tant que coureur) et que j’ai assisté à une naissance. Si, il y a eu naissance, cette symphonie devrait s’appeler Maïeutique, c’est dans la douleur qu’est né un excellent cent-bornard, on ne peut plus le considérer comme un bizut. Je ne sais pas qui était la sage-femme, c’est peut-être cette course mythique, son parcours, son public ses supporters qui font qu’on en est sur un nuage quand on la termine, qu’on soit premier ou dernier, que ce soit la première fois ou qu’elle soit devenue un pèlerinage.

La symphonie Maïeutique et son dernier mouvement étaient cahotiques, je l’ai aimée et j’attends d’autres interprétations.

Cette année Ludovic, en passant la ligne en vainqueur arborait un magnifique sourire et montrait un poing rageur, il tenait enfin cette victoire, Hervé, le deuxième avait en prime les pieds en sang, ses chaussures ont changé de couleur, Anne-Cécile, vainqueure, souriait et pour ceux qui la voient souvent, c’est son habitude, car malgré tous ses titres de championne nationale et mondiale elle a toujours gardé cette simplicité et elle respire la bonne humeur du premier au dernier kilomètre. Anne-cécile première féminine a terminé quinzième au scratch c’est à dire le classement tout confondu, jeunes, vieux, hommes ou femmes. Karim, avec sa cinquième place est arrivé pratiquement entre Anne-Cé et Ludo.